Grasse Matinée

 

Critique de Jean-Pierre THIBAUDAT

Journaliste, écrivain et conseiller artistique / Club de Mediapart

 

La compagnie Keops est une compagnie de théâtre qui donne noblesse à chacun de ces trois mots. En son sein, s’y est nouée une amitié durable entre deux femmes éprises de théâtre, ayant l’envie de porter des textes en scène et de les jouer. Aujourd’hui retraitées, l’une était institutrice, l’autre s’occupait de relations publiques dans des centres culturels, l’amour du théâtre les a rendues comme indissociables. Aussi retrouve-t-on les noms de Monique Vérité et de Corinne Richard au générique des spectacles montés par la compagnie Keops.

 

Il leur arrive, tout en jouant, de cosigner les mises en scène comme ce fut le cas pour L ours et La demande en mariage de Tchekhov ou Madame de de Rémi de Vos. Le plus souvent, elles confient la mise en scène au fidèle Christian Canot qui les a dirigées avec d’autres dans Derniers remords avant l’oubli ou Nous les héros de Jean-Luc Lagarce, Huis-clos de Sartre, Débrayage de Remi de Vos ou présentement Grasse mâtinée de René de Obaldia. Dans ce nouveau spectacle, elles sont toutes les deux en scène, défendant becs et ongles cette pièce inconnue, drôle et foutraque de l’auteur. Comme elle est très courte, la compagnie Keops l’accompagne de courts textes complémentaires signés Sartre, Proust, etc..

 

La grasse mâtinée se donne au Théâtre du gouvernail, une toute petite salle de spectacles située dans le passage de Thionville à Paris, non loin de la rue de Crimée et du métro Laumière. Un hall minuscule, deux ou trois pas plus loin et on entre dans la salle. Quelques rangs de fauteuils, une quarantaine de places toutes proches de la scène, ni large, ni étroite, sobrement équipée.

 

Le rideau se lève sur le décor : deux boites verticales ouvertes (décor et création sonore Alain Vantelon). On comprend vite que ce sont des cercueils debout dont on a retiré le couvercle. Celui de gauche est de dimension et de qualité plus modeste que celui de droite, il est aussi moins bien fleuri. A gauche, Babette (Corinne Richard) compense l’étroitesse de son logis et de sa modeste condition par son agitation effrénée, à droite, Artémise (Monique Vérité) ayant un peu plus d’espace est plus à son aise pour gigoter, voire danser. Le destin a fait qu’elles ont été enterrées côte à côte. Artémise est là depuis douze, ans, aussi n’a -t-elle pas été mécontente de voir arriver une nouvelle, Babette. Au lever de rideau, elles sont éveillées et font la grasse matinée. Comme elles sont mortes, elles ont tout leur temps pour bavarder en attendant de partir un jour pour le Jugement dernier.

 

« Et comment va votre squelette ce matin ? » demande Babette à Artémise. Entre mortes, on se vouvoie. Le temps est rythmé par les trains qui passent, à heure fixe, non loin du cimetière, leurs horaires tiennent lieu d’horloge. Un corbeau vient bientôt croasser près d’elles. Il reste, s’attarde, s’obstine. Babette finira par reconnaître en lui son veuf, son Fernand. « Encore un jour tout neuf »   soupire Artémise qui se souvient peut-être du « encore une journée divine » de Winnie dans Oh les beaux jours de Beckett, à moins que cela ne soit un clin d’œil d’Obaldia à son confrère.

 

Ainsi va la vie chez les morts nous raconte René de Obaldia, cet auteur né à Hong Kong, fils d’un consul du Panama et qui a grandi entre Amiens et Paris avant de passer toute la guerre prisonnier dans un stalag. Obaldia a connu son premier succès grâce à Jean Vilar avec Le Satyre de la Villette avant d’être repéré par André Barsacq dan son théâtre de l’Atelier. L’auteur devait faire triompher son humour doux-amer avec Du vent dans les branches de Sassafras, un énorme succès. Entré à l’Académie française, il sera le second Académicien centenaire et mourra à l’âge de 103 ans en 2022. Son œuvre théâtrale est publiée en sept volumes chez Grasset. Grasse mâtinée figure dans le dernier volume. On découvre cette petite pièce grâce à Corine Richard et Monique Vérité qui en sont les formidables interprètes et merci à Christian Canot de mettre tout cela en rythme.

 

 

Critiques ''BilletReduc''

 

 

Madame

 

Huis Clos

 

Derniers remords avant l'oubli

 

Chronique Radiophonique

France CULTURE

Extrait de l’émission ‘’La Grande Table’’ avril 2011

Analyse en parallèle des mises en scène de Serge LIPSZYC et de Christian CANOT

 (…)

 Question à Véronique KLEIN

Vous avez vu les deux mises en scène. Avez-vous entendu le texte différemment ?

Réponse

Oui. Je l’ai davantage entendu dans la mise en scène de Christian CANOT qui trouve les creux de la langue de Jean Luc LAGARCE, alors que dans la mise en scène de Serge LIPSZYC, on est dans une petite comédie bourgeoise et on n’a pas du tout ce que LAGARCE écrit dans tous les silences, dans tous les moments de trouble qu’amènent ces réunions familiales. La plupart des textes de LAGARCE sont autour de réunions familiales, autour de la maison, un homme qui revient après avoir vécu ailleurs et qui réunit sa famille biologique, mais aussi ses amis. Dans DRAO, la personne qui est restée dans cette maison, Pierre, ce n’est pas lui qui a l’initiative de cette réunion et quand toutes ces autres personnes arrivent pour vendre cette maison, ils discutent de choses qu’ils ont déjà dites plusieurs années auparavant et on n’a aucun sentiment de ce qui pourrait se dire de plus, de tout ce que cela pourrait réveiller dans le texte de LAGARCE. LAGARCE disait dans Le Pays lointain qui est le dernier texte qu’il a terminé quinze jours avant sa mort (du sida en 1995) et il écrivait qu’il se promenait au bord d’un viaduc et qu’il aurait voulu crier, mais il n’a pas crié, il a continué à marcher et que ce sont des oublis comme çà que l’on regrette et l’on ne sent pas du tout ce genre de chose dans la mise en scène de LIPSZYC et on le sent un peu plus dans celle de CANOT.

 

Question à Véronique KLEIN

Pourquoi alors celle de CANOT permet de mieux entendre le texte de LAGARCE ?

Réponse

Parce qu’il essaye d’être moins naturaliste. Il commence par des images vidéo d’une maison à la campagne – on se dit d’ailleurs que cela pourrait peut-être faire un excellent film – et les personnages arrivent par tableaux. Alors là où je n’ai pas très bien compris son parti pris, c’est que chaque personnage vient sur un petit prie-Dieu, comme un confessionnal pour dire ce qu’il a à dire aux autres, et du coup il manque de relations entre les différents personnages, mais quand même on entend les silences, ce qu’on entend pas du tout dans l’autre mise en scène qui se passe dans un bar, le bar du théâtre du Ranelagh, les spectateurs sont pris à témoin et même à parti par moments et donc on est un peu mal à l’aise par moments et aussi on n’est pas amenés à réagir, on n’est pas les membres de cette famille et çà provoque une sorte de cabotinage aussi du côté des acteurs qui nous laissent à plat le texte complètement.

 (…)

 

 

ARTISTIK REZO

Article de Patrick DuCome

20 avril 2011

 

Dans un huis-clos provincial où la tension se fait constante, trois amis se retrouvent confrontés à leur réalité d’autrefois lorsqu’ils vivaient ensemble. A cette époque, ils avaient acheté une maison à parts égales.

 

Quinze ans après, Hélène flanquée d’Antoine, son nouveau mari et de leur jeune fille ainsi que Paul venu avec Anne, rendent visite à leur ami Pierre, celui qui est resté et avec lequel ils devront s’entendre pour décider du sort de cette maison qui leur fut autrefois commune. C’est bien d’incommunicabilité dont il s’agit ici malgré les retrouvailles d’amis qui s’entendaient si bien et qui s’aimaient, on n’en doutera pas. Cet argument cache des enjeux, révèle des non-dits et fait que le spectateur immergé dans leurs retours passionnels sur eux-mêmes cherche à découvrir ce que dissimulent ces personnages aux drames intimes.

 

La Cie Keops propose une version à double résonance de Dernier Remords avant l’Oubli de Jean-Luc Lagarce et nous rend témoins de ces êtres qui semblent communiquer entre eux puisqu’ils ont tout pour le faire mais qui au final sont des taiseux même lorsqu’ils s’invectivent.

 

Avec cette version bien particulière de la pièce de Lagarce, l’auteur est confondu. Voilà sa propre stratégie révélée : il refuse visiblement que des personnages réunis pour se parler se causent, eux qui pour mettre les choses au point et les points sur les i concernant la vente d’une maison autrefois achetée en commun, s’obstinent aujourd’hui à ne pas s’écouter !

 

« Il ne faut pas confondre l’apparence de la réalité avec la réalité même — justifie Christian Canot — metteur en scène inspiré. C’est le remords et c’est le passé que je devais mettre en scène et non pas l’anecdote proposée : vente, retrouvailles difficiles. Il m’a fallu dire combien l’image du passé ou sa représentation semble sacrée à ces amis retrouvés et montrer qu’ils veulent coûte que coûte la conserver chacun à leur manière. »

 

On aimera les jeux entre cinéma et plateau de théâtre : certaines scènes filmées sont projetées en «cyclo », elles montrent pourtant des sentiments entre les personnages, sentiments qui n’existent plus lorsque comme jaillis de l’écran ceux-ci apparaissent sur scène. Pierre et Paul, par exemple, ont à l’image des regards qui ne trompent personne sur la relation affective qui les a unis jadis. Le paradoxe est que les personnages muets sur la toile (cinéma) semblent y exprimer cependant davantage de volubilité que sur le plateau « En empruntant à la technique cinématographique, la vidéo qui imposait d’être plus généraliste, de ne faire ni dans le spectaculaire ni dans l'esbroufe, précise C. Canot. Rester sobre mais riche dans les mots, dépouillé dans la langue.

 

Dans cette confrontation de personnes engluées dans l’incommunicabilité, Christian Canot, en refusant de s’attarder aux faits recueille ce qui lui semble l’universalité de cette pièce à savoir qu’en fait, chacun au fond de lui-même se dit qu’il est dans le vrai.

 

A tour de rôle, pris dans un rai de lumière, chacun ira de sa justification devant les compagnons du passé et vis à vis d’eux-mêmes pour se convaincre chacun de sa bonne foi. Comme dans un tribunal fictif, chaque personnage se réfère à son seul passé avec le sentiment d’avoir raison. Les tentations de dialogues entre les personnages tombent à plat Il ne peut donc pas exister d’explications réelles puisqu’ils ne s’écoutent pas.

 

Les comédiens se sont accaparé ce texte avec beaucoup de bonheur. On découvrira une des premières prestations sur scène de Tatyana Alcide, aussi décalée que Christian Vurpillot qui a bien saisi son personnage plus gauche que bonimenteur loin des miasmes de tous et des plaintes affectives de Pierre (Thierry Brault) ou des émotions de Paul (Bruno Richy ou Gilles Pernet) autour de deux femmes touchantes (Monique Vérité et Corinne Richard) qui s'épient et ne se pardonneront rien.

 

Patrick DuCome

 

 

L'ours, la demande en mariage

et ainsi de suite ...

Festival Off Avignon

(2005)

 

Fruits amers

Festival Off Avignon

(2004)

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(2004)